En 2025, le Togo célèbre ses 65 ans d’indépendance. Au-delà des festivités, il y a une histoire complexe, parfois tumultueuse, marquée par des visions contrastées de la souveraineté, de l’unité nationale et de l’avenir. Pour comprendre le chemin parcouru, nous avons invité un observateur averti des affaires politiques africaines, le Togolais Christian Enyonam FOLLY-KOSSI, pour nous guider à travers l’histoire du pays, et le style de célébrations des Dirigeants successifs du Togo.
Fiator Christian
Enyonam FOLLY-KOSSI, diplômé de l'École des Hautes Études Commerciales (HEC)
en 1977, titulaire d'un DEA d'Économie et d'une formation à l'École des Hautes
Études en Sciences Sociales, au Collège de France à Paris, a évolué au sein
d'Air Afrique puis à la tête de l'Association des Compagnies Aériennes
Africaines (AFRAA).
Cet éminent
intellectuel et "Graveur de Mémoire", auteur d'un ouvrage de
référence publié chez l'Harmattan, s'est prêté à l'exercice délicat, de
retracer l’évolution de la célébration de l'Indépendance du Togo au fil des
ans.
Vous, en tant
qu’intellectuel, témoin vivant de l’indépendance du Togo, pouvez nous
édifier sur les circonstances de celle-ci ?
Réponse : Dès 1960, le Togo s’est affranchi du joug
colonial sous l’égide du Président Sylvanus Olympio, le premier Chef de l’Etat togolais. Le Président Sylvanus
Olympio incarnait la
vision d’un Togo émancipé,
souverain et indépendant. L’homme rêvait de
monnaie nationale, de neutralité et d’une économie essentiellement autonome. Mais son rêve sera
brutalement brisé, trois ans après l’Indépendance.
Qui était Sylvanus Olympio et qu’est ce qui n’a pas marché avec la vision qu’il
incarnait ?
Réponse : Le Président Sylvanus Olympio
était assurément, l’homme des idées novatrices, des ruptures avec le passé
colonial. Toutefois, ses choix, ses méthodes, notamment sa volonté de créer une
monnaie nationale, ont été mal perçus, voire rejetés par certains secteurs de
la société. C’était un visionnaire certes, mais un visionnaire solitaire, qui
n’a pas réussi à fédérer la Nation autour de lui, pour lui faciliter la tâche.
Parlez-nous un peu de son successeur Nicolas Grunitzky
Réponse : Succédant au Président Sylvanus
Olympio, le Président Nicolas Grunitzky est habité d’un esprit de
réconciliation nationale. Moins radical que son prédécesseur, il se rapproche
de la France et cherche un équilibre entre souveraineté et coopération.
Cependant, son projet de modernisation sera freiné par des tensions internes,
avec notamment de nombreuses querelles intestines avec son Vice-Président,
Antoine Méatchi, un fervent défenseur de l’indépendance immédiate et totale,
qu’il éjecta en novembre 1966.
Le Président
Nicholas Grunitzky jouait en effet la carte de la tempérance et de la
modération, mais il a fait face à une opposition interne forte, en particulier
de la part de ceux qui voulaient une rupture totale avec le passé colonial. Son
approche consensuelle n’a pas empêché l’effondrement de son régime, qui a été
accéléré par sa mésentente notoire avec le Vice-Président, de philosophie
politique opposée, que le Président a pris le risque de limoger en novembre
1966 à son dépens.
Que s’est-il passé après la déchéance du Président Nicolas
Grunitzky ?
Réponse : Dans les années qui ont immédiatement
suivi, à compter du 13 janvier 1967, le Togo entre dans une ère de stabilité et
de contrôle avec le Général Gnassingbé Eyadema, qui dirigera le pays pendant
près de 40 ans. Sous son règne, le Togo connaît un développement économique
dirigé, mais l’ordre, la discipline et l’absence de pluralisme marquent la vie
politique.
Le Président
Gnassingbé Eyadema a effectivement apporté la stabilité et la paix, mais au
prix de l’ordre et d’un encadrement rigoureux de la vie politique du pays. Le
Togo a alors été régi par un Parti-État à l’image de ceux d’Asie et d’Europe de
l’Est, c’est-à-dire un parti unique, qui circonscrit en son sein toutes les
expressions des acteurs politiques du pays. S’agissant du concept de
l’indépendance, il n’a plus été question de chercher à rompre à tout prix avec
la France, mais d’imposer une souveraineté sous contrôle.
Depuis 2005 et après le décès du Général Gnassingbé Eyadema, quelle
lecture faites-vous de
l’indépendance avec le Président Faure Gnassingbé ?
Réponse : Aujourd'hui, sous la présidence
du Président Faure Gnassingbé, l’indépendance est davantage technocratique que
symbolique. La modernisation du pays, avec des infrastructures modernes et un
développement axé sur la croissance économique, semble l’objectif principal. Il
n’empêche que dans certains milieux, les questions de démocratie, de
participation politique, et de réconciliation restent au cœur des débats.
Le Président
Faure Gnassingbé a manifestement, redonné un certain éclat au 27 avril en le
rendant plus rassembleur, particulièrement à l’occasion de la célébration du
65eme anniversaire. Sur le plan des symboles, les photos des 5 Chefs d’État qui
ont gouverné le pays depuis 1960, sont désormais systématiquement affichées aux
ronds-points majeurs de la Ville de Lomé, ainsi qu’au Monument de l’Indépendance,
la semaine du 27 avril. Le Président Sylvanus Olympio, dont la simple évocation
du nom, constituait une offense politique grave, est désormais affublé du titre
officiel et judicieux, de Père de l’indépendance.
La question
violente demeure de savoir si ce retour aux symboles enthousiasmants de
l’indépendance, pourra suffire à répondre à toutes les aspirations de
changement de la population ?
Que retenez-vous des
quatre styles de commandement que le Togo a connus à la tête de l’Etat ?
Réponse : À travers ses quatre styles de présidence
expérimentés, le Togo a manifestement cherché sa voie, entre ruptures et
continuité, entre indépendance symbolique et modernisation économique. Mais 65
ans après l’indépendance, le défi reste de trouver comment conjuguer la
souveraineté nationale, le développement économique et la démocratie dans un
même projet national ?
Nous apprenons également dans les
coulisses que vous travaillez à la sortie imminente d’un livre résumant vos
analyses sur l’histoire du Togo. De quoi sera-t-il réellement question ?
Réponse : Mon prochain livre dont vous venez,
de révéler le secret, tentera d’explorer les raisons profondes des crises
politiques qui ont secoué le Togo, de l’ère de l’autonomie interne des années
1950, à nos jours. Le Togo est un pays marqué par des oppositions permanentes,
des luttes intestines qui se prolongent jusqu’à ce jour. Mais c’est aussi un
pays qui mérite un avenir meilleur, à condition de savoir surmonter ses
divisions. Le titre probable du Livre est : “Le Togo : Un pays de
conflits, d’oppositions et de tensions permanentes depuis les années 1950”.
Que
peut-on concrètement attendre de cet ouvrage ?
Réponse : Une analyse précise et sans
concession de l’histoire politique du Togo, à travers ses crises et ses espoirs
successifs. L’ouvrage dont la sortie est de
plus en plus attendue dans les milieux spécialisés, apportera un éclairage inédit
sur les défis actuels du Togo.
Avez-vous un mot de fin pour conclure cet entretien ?
Réponse : Le Togo est un pays de
résilience, de luttes et de rêves inachevés. À 65 ans, l’âge de la retraite des
travailleurs, un jeune État se doit de faire le bilan de son parcours sans
concession. Au regard des faiblesses de ce bilan, la sagesse doit prévaloir, et
inciter à mieux s’organiser pour répondre efficacement aux défis d’aujourd’hui
et de demain.
Dans ce dessein,
comment amener le peuple togolais, culturellement habitué à la discorde, à
tourner définitivement les pages de la division, afin de s’exercer à rêver
ensemble, d’un avenir prometteur pour la Nation, en termes de paix, d’unité, de
prospérité individuelle et collective ?
Revueinfo.tg
Pour toute demande de reportage, publicité ou autre service, contactez-nous :
- Téléphone : (+228) 91-09-52-20 / 98 33 90 03 (Numéro WhatsApp)
- Email : calebakponou@gmail.com